Adoption à Tunis des statuts du Forum africain sur l’administration fiscale

Publié le par Maître Lassâad Dhaouadi

La deuxième rencontre du Conseil du Forum sur l’Administration Fiscale Africaine (ATAF) s’est ouverte ce lundi 15 novembre 2010 à Tunis. Co-organisée par la Banque Africaine de Développement (BAD), cette réunion a été ouverte par le président du Groupe de la BAD, Donald Kaberuka, en présence du VP OSVP Kamal El-Kheshen, du directeur OSGE, Gabriel Negatu et du président du Forum, Oupa Magashula.

Dans son discours inaugural, le président du Forum a remercié la BAD, pour son aide dans l’organisation de cette réunion. « La BAD est notre partenaire stratégique » a rappelé M. Magashula. Le président du Forum a détaillé par la suite les enjeux qui attendent son organisation pour une « meilleure mobilisation des ressources internes » et pour la « modernisation des administrations fiscales africaines ».

Le président Donald Kaberuka a quant à lui mis l’accent sur l’importance de « libérer le potentiel de l’Afrique », inscrivant « la mobilisation des ressources internes » comme l’une des priorités que devraient avoir les pays africains. « Nous sommes là pour vous aider et la BAD sera un membre associé de votre organisation », a dit le président Kaberuka à l’adresse des responsables du Forum et des participants. D’ailleurs, la BAD a adopté une déclaration commune sur sa coopération avec le Forum, en vue de devenir membre associé, dès l’adoption définitive de ses statuts.

Après la cérémonie d’ouverture, les travaux du Forum se sont poursuivis jusqu’à la signature par neuf pays africains de l’accord adoptant les règles et statuts juridiques de cette entité. Il s’agit de l’Afrique du Sud, le Botswana, le Ghana, le Nigeria, le Gabon, le Rwanda, le Kenya, le Sénégal et le Zimbabwe. L’adoption définitive des ces statuts aura lieu lors d’une assemblée générale qui se tiendra en 2011.

A ce titre, il y a lieu de rappeler que lors d'une conférence organisée par South African Revenue Service (SARS) à Pretoria, en août 2008, les Commissaires et les hauts responsables de 28 administrations fiscales africaines ont reconnu la nécessité de renforcer les capacités et les compétences requises pour leurs administrations respectives. Au cours de la conférence, l’engagement de mettre sur pied le Forum sur l’Administration Fiscale Africaine a été pris afin d'assurer le leadership et d'atteindre des objectifs qui sont vitaux pour le développement de l'Afrique. Les principaux objectifs du Forum :

- Devenir la principale plate-forme pour les administrateurs fiscaux africains;

- Définir les priorités fiscales africaines;

- Développer et partager les meilleures pratiques dans la région ;

- Enfin, renforcer les capacités dans la politique et l'administration fiscales africaines.

La réunion de Tunis a pour objectif d’accélérer la mise en place d’administrations africaines plus fortes. Il s’agit aussi de voir les moyens d’une meilleure mobilisation des ressources internes, en améliorant notamment la politique de collecte des impôts, et de tendre vers l’autosuffisance financière. 

Cette initiative a été prise suite à des recommandations émanant de plusieurs bailleurs de fonds et d’organisations internationales œuvrant en matière d'aide au développement. Dans son rapport de 2005 sur la gouvernance en Afrique, la Commission Economique pour l’Afrique qui fait partie des structures des Nations Unies a attiré l’attention sur la menace que représentent la fraude fiscale, la corruption et la non transparence pour la survie des Etats : « Outre leurs implications éthiques, la fraude fiscale, la corruption et le manque de transparence sont autant d’obstacles directs à une bonne gestion des finances publiques. Ils privent les gouvernements des recettes désespérément nécessaires pour le développement, engendrent des critiques à l’égard du processus de gestion économiques et un manque de confiance dans ce processus et peuvent conduire à l’aliénation politique et à la perte de légitimité et de soutien pour le régime, ce qui entraine à son tour des tensions politiques et l’instabilité. La fraude fiscale et la corruption sont comme des cancers, qui peuvent, faute de contrôle, se propager rapidement et détruire le tissu moral de la société ainsi que ses structures et processus économiques et politiques. Une action vigoureuse des pays africains est donc requise pour lutter contre la menace ».

De son côté, Jeffrey Owens, Directeur du Centre de Politique et d’Administration Fiscale au sein de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), a identifié, dans un article publié en juin 2009 dans L’Observateur de l’OCDE, certains obstacles à la lutte contre la fraude fiscale dans les pays africains : « C'est une tâche complexe, qui nécessite un renforcement des fragiles administrations fiscales. La corruption n'est qu'un des grands obstacles. Les pays en développement ont le malheur d'avoir des systèmes fiscaux gérés par des fonctionnaires peu formés et sous-payés qui œuvrent au sein de structures administratives archaïques, encore souvent conçues sur l'ancien modèle colonial, avec deux services distincts chargés des impôts sur le revenu et sur la consommation. Ces administrations fiscales doivent être profondément réorganisées si l'on veut que les pays en développement sortent de l'engrenage de la pauvreté et soient assurés de pouvoir réduire leurs droits de douane et mener à bien les réformes, notamment l'élargissement des bases d'imposition. Il leur faut des services fiscaux indépendants dirigés par des responsables animés d'une solide vision et travaillant avec des fonctionnaires mieux payés dans le cadre d'une administration intégrée. Il faut aussi des orientations et des objectifs clairs, avec en particulier des systèmes de gestion des risques assurant un juste équilibre entre l'application des lois et le service au contribuable, ainsi qu'entre les demandes des particuliers et des entreprises ».

Quant à Eva Joli, l’eurodéputée et l’ancien juge d’instruction anti-corruption, elle a confirmé dans une interview parue en 2010 que « Compte tenu de la pauvreté de leurs populations et de l’importance de l’économie grise, les pays en développement ont une assiette fiscale étroite et un taux de recouvrement faible : l’impôt y représente, au mieux, de 12 % à 14 % du PIB, contre 40 % à 50 % dans les pays industriels. Or une partie importante de ces recettes légitimes est confisquée par les multinationales occidentales. Il faut mettre fin aux mécanismes qui autorisent ces grands groupes internationaux, opérant par exemple en Afrique, à ne pas payer d’impôts ou si peu dans les pays en développement. Les multinationales utilisent tous des paradis fiscaux pour pratiquer «l’optimisation fiscale». Il s’agit d’un véritable pillage organisé des pays du Sud. Mais les pays riches en pâtissent aussi. Le Conseil des Prélèvements obligatoires français vient d’ailleurs de confirmer dans un rapport que les multinationales paient 2,3 fois moins d’impôts que les PME. Seules les entreprises de moins de 9 salariés paient réellement 30 % d’impôts, tandis que pour les groupes du CAC 40 le taux tombe à… 8 % ! Ce qui constitue à la fois une injustice et une distorsion de concurrence ». 

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