A quand la création d’un organisme pour lutter contre la corruption ?

Publié le par Maître Lassâad Dhaouadi

Sapant les institutions et les valeurs démocratiques, la justice et les valeurs éthiques et compromettant le développement durable, ainsi que l’Etat de droit, la corruption constitue une menace très grave pour la stabilité et la sécurité de la société. La corruption a des liens solides avec d’autres formes de criminalité organisée et économique, y compris le blanchiment d’argent. Par la corruption, plusieurs nouveaux riches tunisiens ont accumulé de grosses fortunes par le biais de l’importation sauvage, du blanchiment des fraudes fiscales et sociales et des infractions économiques surtout que les textes relatifs à la concurrence et les prix, à la protection du consommateur, à la distribution et à la publicité commerciale demeurent ineffectifs jusqu’à ce jour ! L’acquisition illicite de richesses personnelles, par l’appropriation de biens immobiliers publics moyennant des sommes symboliques, la radiation illégale de créances bancaires, l’octroi illicite de marchés et de subventions publics et autres formes de criminalité sont gravement préjudiciables aux institutions démocratiques, aux économies nationales et à l’Etat de droit. Consciente de la gravité du phénomène, la communauté internationale a mis en place en 2003 un instrument multilatéral, à savoir la Convention des Nations unies contre la corruption, dont l’objet consiste à promouvoir les mesures visant à prévenir et à combattre la corruption de manière efficace. Elle vise aussi la promotion de l’intégrité, la responsabilité et la bonne gestion des affaires et des biens publics. Ladite Convention a été ratifiée, d’une manière formelle, par la Tunisie par la loi n° 2008-16 du 25 février 2008, alors que la législation interne n’a pas été harmonisée avec . Obligation de création d’un organisme de prévention de la corruption En vertu de l’article 6 de la Convention, l’Etat tunisien est dans l’obligation de créer un organisme permanent qui se charge de la prévention de la corruption par des moyens tels  que : - la promotion des pratiques efficaces visant à prévenir la corruption ; - la mise en place de politiques de prévention de la corruption efficaces et coordonnées qui favorisent la participation de la société civile ; - l’évaluation périodique des instruments juridiques et mesures administratives pertinents en vue de déterminer s’ils sont adéquats pour prévenir et combattre la corruption ; - l’accroissement et la diffusion des connaissances concernant la prévention de la corruption. L’Etat tunisien est dans l’obligation de garantir l’indépendance de cet organisme, afin de lui permettre d’exercer efficacement ses fonctions à l’abri de toute influence. Il devrait lui fournir les ressources matérielles et le personnel spécialisé nécessaire, ainsi que dispenser la formation dont ce personnel a besoin pour exercer ses fonctions. En outre, l’Etat tunisien doit communiquer au Secrétaire de l’ONU le nom et l’adresse de l’autorité ou des autorités susceptibles d’aider les autres Etats parties à mettre au point et à appliquer des mesures spécifiques de prévention contre la corruption. Compte tenu de ce qui précède, l'on est en droit de se demander pourquoi l’Etat provisoire a créé une commission provisoire, non habilitée légalement, pour enquêter sur la corruption, au lieu de respecter un engagement international consistant à créer un organisme permanent et indépendant à cette fin. Incrimination de la corruption dans le secteur privé En vertu des dispositions du Code pénal, l’infraction de corruption nécessite l’existence d’un fonctionnaire public. En conséquence, les sanctions pénales, prévues à ce titre, ne sont pas applicables dans le secteur privé du fait que le Code pénal n’a pas été harmonisé avec l’article 21 de la convention des Nations unies contre la corruption qui oblige l’Etat tunisien à adopter des mesures législatives et autres, nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale au fait de promettre, d’offrir ou d’accorder, directement ou indirectement, un avantage indu à toute personne qui dirige ou travaille pour le compte d’une entité privée, afin que, en violation de ses devoirs, elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte. En outre, la législation fiscale tunisienne doit prévoir le refus de la déductibilité des pots de vin déguisés sous forme de commissions d’intermédiation. Participation de la société civile En application de l’article 13 de la Convention, l’Etat tunisien doit prendre des mesures appropriées afin de favoriser la participation active de personnes et de groupes n’appartenant pas au secteur public, telles que la société civile, les organisations non gouvernementales et les communautés des personnes, à la prévention de la corruption et à la lutte contre ce phénomène. Il doit également mieux sensibiliser le public à l’existence, aux causes et à la gravité de la corruption et à la menace que celle-ci représente. Aussi, a-t-il à prendre les mesures suivantes : - entreprendre des activités d’information du public l’incitant à ne pas tolérer la corruption, des programmes d’éducation du public, notamment dans les écoles et les universités ; - respecter, promouvoir et protéger la liberté de rechercher, de recevoir, de publier et de diffuser des informations concernant la corruption. En outre, l’Etat doit prendre les mesures adéquates pour rendre publiques les dispositions de la Convention pour que tous les faits susceptibles d’être considérés comme constituant une infraction puissent être signalés aux autorités compétentes, y compris sous couvert de l’anonymat. En application de cette disposition, l’Etat français, à titre d'exemple, a créé un site web à travers lequel les citoyens dénoncent les affaires de corruption dont ils ont eu connaissance. De même, aux Etats-Unis d’Amérique, le contrôleur général, jouissant d’une très grande immunité, a mis à la disposition du public un numéro  vert, afin de lui permettre de dénoncer les actes de corruption. Nécessité de la protection des ressources publiques Le gouvernement provisoire est appelé d’urgence à prendre des mesures afin de protéger les ressources publiques, ce qui permettra de rétablir la confiance avec le peuple. A ce titre, est-il concevable de ne pas enquêter et de ne pas restituer les biens immobiliers octroyés, sous forme de corruption, à certaines organisations professionnelles qui étaient parmi les piliers de la dictature et qui ont demandé au dictateur de se représenter aux élections 2014, au détriment des pauvres et des étudiants qui ne trouvent pas d’abri? Est-il concevable de ne pas inventorier, afin de restituer les créances bancaires radiées illégalement au profit des acteurs de la dictature? Est-il concevable de ne pas dresser la liste des nouveaux riches qui ont fortunes, afin de restituer les sommes dues au trésor accumulé de grosses public et autres organismes similaires (droits de douane, impôts et taxes, cotisations sociales…) ? Est-il concevable de ne pas restituer les subventions octroyées, sous forme de corruption, à des personnes de tout bord qui n’ont jamais servi l’intérêt général ? Est-il concevable de ne pas procéder d’urgence à la révision de toutes les conventions particulières et autres, conclues par l’Etat notamment dans les domaines des hydrocarbures et minier, ainsi que de toutes les concessions accordées par l’Etat dans tous les domaines et dont ses intérêts ont été lésés avec la complicité de plusieurs parties ? Est-il concevable de ne pas procéder à la refonte et à la mise en application immédiate de la loi n° 87-17 du 10 avril 1987, relative à la déclaration sur l’honneur des biens des membres du gouvernement et de certaines catégories d’agents publics qui est relativement ineffective et qui n’est pas en harmonie avec les normes internationales notamment celles prévues dans le cadre de la Convention des Nations unies contre la corruption et du Code international de conduite des agents de la fonction publique ? Est-il concevable de ne pas entamer l’assainissement de la législation tunisienne des dispositions qui ont été prévues au profit de certains acteurs de la dictature qui n’ont pas cessé de nous donner des leçons sur la gouvernance et le miracle économique tunisien? Est-il concevable de ne pas entamer une enquête sur toutes les créances publiques radiées en vertu de l’article 25 du Code de la comptabilité publique et autres textes? Ainsi que sur celles radiées dans le cadre de la commission chargée de l’examen des requêtes des contribuables, créée par le président déchu, en violation de l’article 34 de la Constitution et de l’article 15 du Code des droits et procédures fiscaux du fait qu’elle n’est régie par aucun texte législatif et que certains de ses membres, choisis sur la base de critères préétablis définis auparavant par la dictature, n’appartiennent pas à la fonction publique et sont interdits légalement d’avoir connaissance des dossiers conseillers des contribuables, sachant que même la majorité écrasante des fiscaux et des avocats ne connaissent pas cette commission ? Est-il concevable de tolérer le non-respect des dispositions de l’article 112 du Code des droits et procédures fiscaux relatives à la régularisation des étrangers et des non-résidents de leur situation fiscale surtout qu’aucune sanction civile et pénale n’a été prévue à ce titre ? Est-il concevable de ne pas entamer stratégie des avantages fiscaux et d’urgence une étude sur le rendement de la financiers qui n’a pas abouti à la croissance et à l’emploi au sens de l’article 2 du Code d’incitation aux investissements sans parler du transfert technologique qui n’a pas été pris en considération par ledit Code ! Nous croyons que les ressources susceptibles de provenir de ces actions et qui se chiffrent à des centaines de milliers de milliards permettent largement d’éradiquer le chômage et la pauvreté dans notre pays et que la restructuration des organismes de contrôle liés à l’Etat peut s’avérer très bénéfique pour la collectivité.

 

* Article paru au supplément économique du journal La Presse du 9 mars 2011.

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S
C'est pas trop clair ainsi que les loi !
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